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11/05/2011

Pouvoir d'achat : Hervé Morin, l'alchimiste...

herve-morin-97a04.jpgLe pouvoir d'achat est la grande préoccupation des Français. Que préconisez-vous ? 

www.lemonde.fr

Hervé Morin : pour augmenter les salaires, il faut réduire massivement les cotisations sociales en créant une TVA sociale. Je veux que lorsqu'un Français achète un produit provenant de Chine ou d'Inde, les Chinois ou Indiens, indirectement, participent au financement de notre protection sociale. Je veux que les 77 millions de touristes qui viennent chaque année consommer en France [...] participent aussi à la protection sociale.

Loin de moi l'idée de lancer un débat sur la TVA sociale, mais il faut bien reconnaître qu'Hervé Morin se présente ici, sans aucun doute, comme le plus mauvais défenseur de cette taxe dans toute l'histoire de la défense de cette taxe.

En clair, pour augmenter le pouvoir d'achat des français, Hervé Morin propose d'augmenter la TVA. Etonnant, non ?

Suivons son raisonnement merveilleux : pour augmenter le pouvoir d'achat, il faut augmenter les salaires. Logique. Mais si l'on augmente les salaires, on augmente le prix de revient des produits, donc on va augmenter leur prix de vente. Qu'à cela ne tienne, pour maintenir le prix de vente, on va rogner sur l'autre composante du prix de revient que constituent les charges sociales. Bien. Mais comment financer alors le manque à gagner pour notre protection sociale ? En augmentant la TVA donc le prix de vente, pardi ! Lumineux, non ?

Mais M. Morin ne s'arrête pas en si bon chemin : il veut que, grâce à cette TVA, lorsqu'un consommateur français achète un produit chinois, les chinois financent "indirectement" notre protection sociale. J'aime beaucoup le mot "indirectement". J'aimerais qu'il nous explique par quel stratagème, le moindre euro pourrait sortir d'une poche chinoise et non française à cette occasion ? Lorsque l'on taxe la consommation d'un produit, ce n'est ni le produit ni le producteur qui paye la taxe, mais le seul consommateur.

J'ajouterai même qu'en baissant les charges sociales, s'agissant de nos exportations, on exonère tout à fait directement les chinois et les indiens du financement de notre protection sociale, laquelle est transférée dans les mêmes proportions sur le seul consommateur français.

Alors, bien sûr, il reste le consommateur étranger en France, le touriste. Quelle pourrait être sa part de financement ? 77 millions de touristes par an ? Beau chiffre, mais qui ne veut rien dire parce qu'il ne dit rien de la durée des séjours. Intéressons-nous plutôt au nombre de nuitées (hébergements de personnes de 15 ans et plus) : environ 520 millions par an. Auxquelles on ajoute les quelques 110 millions de visites d'une seule journée sans hébergement. Soit environ 630 millions de journées de consommation touristique sur notre territoire. "Duty free" inclus ? Considérons maintenant les 51 millions de résidents français de 15 ans et plus qui consomment 365 jours par an sur notre territoire, soit environ 18,5 milliards de journées de consommation ! Inutile de faire un dessin.

Plus simplement, le tourisme génère environ 7 milliards de recette de TVA contre 120 milliards prélevés tous les ans sur les consommateurs français. Augmenter la TVA à 25%, c'est 1,5 milliards à la charge des touristes et 30 milliards à la charge des consommateurs français. Soit 20 euros par touriste et par an contre 600 euros par français et par an.

Merci pour eux.

10/09/2008

Cher Jean,

erreur histo2.jpgCher Jean,

Comment dire...

...

...

Je me suis régalé !

01:03 Publié dans A la Une, Economie, Livres | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : peyrelevade, sarkozy, erreur historique, economie | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook

09/09/2008

Subprime : marché accusé, État coupable

6a00d8356fb76c69e200e551dea3558834-800wi.jpgLa cause est entendue pour nombre d'observateurs : la crise financière des subprime est la conséquence de la folie des marchés et montre les limites d'une finance ultralibérale. Et de réclamer d'urgence plus de régulation publique des institutions financières.

Le libéralisme a une fois de plus bon dos, car il n'existe pas de marché plus perverti par les interventions de l'État fédéral que celui du crédit hypothécaire aux États-Unis.

Les deux institutions joliment surnommées Fannie Mae (FNMA) et Freddie Mac (FHLMC) portent une lourde responsabilité dans les dérives financières du système bancaire américain. La première d'entre elles fut tout d'abord une agence gouvernementale, créée en 1938 par l'Administration Roosevelt, pour émettre des obligations à bas taux du fait de leur garantie fédérale, lesquelles alimentaient de liquidités un marché de prêts immobiliers à taux réduits accessibles aux familles les moins aisées.

En 1968, l'Administration Johnson, s'avisant que les engagements de Fannie Mae garantis par l'État prenaient de l'ampleur et obéraient la capacité d'emprunt d'un Trésor empêtré dans le financement de la guerre du Vietnam, organisa sa privatisation, puis le gouvernement Nixon créa en 1970 Freddie Mac, afin d'organiser un semblant de concurrence sur ce marché du refinancement du crédit hypothécaire.

Cette histoire a donné à Fannie Mae et Freddie Mac un statut hybride de Governement Sponsored Enterprise (GSE), privées, mais légalement tenues de s'occuper exclusivement de refinancement de prêts immobiliers sous contrôle de l'État fédéral, en contrepartie d'avantages fiscaux. Pis même, bien qu'étant officiellement privés, les deux établissements ont toujours été considérés, du fait de leur tutelle publique et de leur rôle social, comme bénéficiant d'une garantie implicite du Trésor américain !

Bénéfices privatisés, pertes collectivisées : Un tel cocktail risquait de pousser les dirigeants des GSE à prendre des risques excessifs, si la tutelle de l'État se montrait défaillante. C'est exactement ce qui allait se passer dans les années 1990. Voilà qui rappelle un célèbre scandale bancaire hexagonal…

La tutelle de ces deux entreprises fut transférée au Département américain du logement (HUD) en 1992, car celui-ci voulait agir sur les prêts financés par les GSE pour satisfaire un objectif majeur de tout politicien qui se respecte outre-Atlantique : l'augmentation du taux de propriétaires de logement parmi les populations à faible revenu, et notamment les minorités.

Aussi le HUD a-t-il obligé Fannie Mae et Freddie Mac à augmenter tant le volume que la proportion de crédits subprime (jusqu'à 56 %, en 2004) refinancés. Pire, un des patrons du HUD, craignant que l'affichage des risques pris par les deux GSE pour se conformer à ces règles conduise les marchés à leur retirer leur confiance, résolut le problème en les exemptant en toute légalité de dévoiler trop en détail leurs expositions.

Aussi Fannie Mae et Freddie Mac ont refinancé, à l'aide de produits obligataires de plus en plus complexes, plus de 5 000 milliards de dollars de crédits, soit 40 % des prêts immobiliers américains, dont plus de la moitié de crédits subprime, alors qu'elles ne disposaient pas de fonds propres permettant de s'engager sur de tels montants. Résultat, les banques émettrices de ces crédits ont pu ne pas se montrer trop regardantes sur les prêts qu'elles consentaient, puisqu'il y avait deux refinanceurs à la bourse grande ouverte derrière. La banque Countrywide, dont la politique de prêts aux familles modestes est aujourd'hui vilipendée, était encore il y a trois ans encensée par les dirigeants de Fannie Mae, pour son audace en matière d'octroi de crédits subprime.

Mais le retournement de conjoncture économique a multiplié les défaillances d'emprunteurs, les deux GSE sont donc menacées de ne plus pouvoir servir les intérêts de leurs obligations, ce qui, par contagion, pourrait affecter tous les investisseurs institutionnels. Du coup, l'État organise dans l'urgence leur sauvetage, lequel devrait coûter plusieurs centaines de milliards de dollars aux contribuables.

Une seconde intervention publique a amplifié les excès bancaires dans l'octroi de crédits à des familles insolvables. Dans les années 1990, des études révélèrent que les refus de prêts aux membres des communautés noires et hispaniques étaient un peu plus nombreux que vis-à-vis des Blancs ou des Asiatiques, quand bien même ces refus ne concernaient qu'une demande de prêt sur quatre. Certains lobbies y virent non le reflet logique de la moindre richesse de ces communautés, mais la preuve d'un prétendu racisme du monde financier.

Une loi antidiscriminatoire de 1977, le Community Reinvestment Act (CRA), fut donc renforcée en 1995 pour rendre plus ardu le refus de crédit aux minorités par les banques, sous peine de sanctions renforcées. Celles-ci durent donc abandonner partiellement le rôle prudentiel qu'elles jouent habituellement lorsqu'elles refusent un prêt à une personne objectivement peu solvable. Pas si grave : Fannie Mae et Freddie Mac étaient là pour refinancer ces prêts délicats !

Aujourd'hui, nombre d'experts estiment que sans le CRA, sans les GSE, l'accès à la propriété des minorités se serait tout de même développé, moins rapidement mais plus sainement. En voulant accélérer artificiellement ce que l'économie libre accomplissait à son rythme, c'est l'État, tantôt régulateur, tantôt législateur, qui a poussé à l'irresponsabilité les acteurs de la chaîne du crédit, provoqué une crise financière grave, et acculé à la faillite nombre de familles qu'il prétendait aider.

[Les libéraux du Mouvement Démocrate]

31/03/2008

Libéralisme et capitalisme

Pour dépasser une confusion préjudiciable au débat politique en France.

L’identification fautive du libéralisme et du capitalisme pousse le débat politique français dans une impasse. Le quiproquo est d’autant plus inextricable que la confusion est entretenue aussi bien par les défenseurs du libéralisme que par ses ennemis. Or, il n’y a finalement pas grand rapport entre cette philosophie générale de la vie en société qu’est le libéralisme, dont les retombées irriguent également les domaines économique, social et politique, et ce régime économique moderne de l’entreprise et de la production de richesses qu’est le capitalisme, susceptible d’être lui-même plus ou moins libéral d’ailleurs. Au mieux, leur intersection est limitée, sans recoupement, au domaine économique. D’où l’épuisement des libéraux (doctrinaires ou politiques) dans un combat sisyphien de défense des intérêts particuliers des patrons, du syndicalisme patronal et des grandes entreprises qui n’est pas le leur et les empêche par avance de pouvoir capter la sympathie réelle de larges couches de la société civile. D’où le refus de la gauche d’avancer résolument vers des solutions qui pourraient ressembler à des concessions idéologiques à l’égard du patronat et du pouvoir économique installé.

Pourtant la distinction entre libéralisme et capitalisme est une clé. Elle permet de comprendre la plupart des positions très peu libérales des organisations professionnelles et du monde patronal en général, dans lesquels se retrouve la vaste majorité des entreprises existantes : pour les subventions, pour les niches fiscales, pour le protectionnisme, rebaptisé depuis peu patriotisme économique ; contre les « class actions » et en général contre « l’excès » de réglementation protectrice des consommateurs (qui vise pourtant à compenser dans la plus pure ligne du droit civil des contrats l’asymétrie d’information entre les particuliers et les professionnels), contre le droit de la concurrence etc. D’une manière générale, d’un point de vue libéral, les chefs d’entreprises, individuellement ou coalisés, en France ou ailleurs, tiennent un discours opportuniste, traduisant le point de vue exclusif du producteur, par principe favorable aux libertés qui l’arrangent et défavorable aux libertés qui le dérangent. Incohérence doctrinale logique et inhérente à la position d’hommes d’affaires ayant des intérêts importants et multiples à défendre à court terme, parfois semblables, parfois divergents, parfois même contradictoires.

Le meilleur exemple de cette incohérence doctrinale, tiré de l’actualité, est la position des grands groupes franco-européens vis-à-vis des offres publiques d’achat (c’est-à-dire une des opportunités les plus solidement établies du marché financier) comme Suez, Arcelor ou Danone : pour le rachat d’Electrabel par Suez et contre son opéabilité par Enel, pour l’OPA d’Arcelor sur Dofasco et contre l’OPA de Mittal sur Arcelor et contre toute OPA en ce qui concerne Danone. La même incohérence est observable aux Etats-Unis lorsqu’une société pétrolière de petite taille est « menacée » d’être rachetée par une entreprise chinoise, lorsque des fonds d’Arabie Saoudite sont sur le point d’opéer une société détentrice de ports américains, ou lorsque le péril nippon menaçait. Ce discours de circonstance purement patronal et de défense d’intérêts acquis, anti-libéral à la lettre, est bien la preuve que le discours capitaliste, opportuniste selon les circonstances et les positionnements ne peut se confondre avec l’expression d’une doctrine libérale ancrée sur le respect des règles de marché, par définition contestataire à l’égard de la fortune installée, favorable au nouvel entrant et au nouveau venu. De la même façon, on considère trop souvent une politique américaine « probusiness » comme libérale alors qu’elle est simplement « pro-capitaliste », faisant primer l’intérêt des producteurs américains installés sur celui des consommateurs américains et a fortiori étrangers, à rebours de la perspective libérale qui subordonne logiquement l’intérêt du producteur à celui du consommateur dans la coopération sociale. Les économistes libéraux comme Adam Smith ou Bastiat, loin d’identifier libéralisme et discours patronal, industrialiste ou capitaliste, comme on le fait si souvent aujourd’hui dans une défense brouillonne, n’avaient aucun doute sur l’existence d’une contradiction fondamentale et insurmontable entre l’intérêt des chefs d’entreprises et la liberté économique symbolisée par la libre concurrence, qui bénéficie en réalité au consommateur final en augmentant sa liberté de choix.

Le libéralisme une philosophie politique générale de limitation du pouvoir par le pouvoir

La philosophie libérale prise en son sens le plus général est une philosophie originellement de gauche qui domina dans le premier temps l’esprit de la révolution française : refus de l’arbitraire du Prince et du favoritisme à remplacer par des lois générales s’imposant à tous sans exception (« rule of law » dans l’univers anglo-saxon), abolition des privilèges, contestation de l’excès de pouvoir, le libéralisme est une philosophie de partage du pouvoir et de revendication de justice égale pour tous, une philosophie méritocratique qui aspire à substituer le talent vérifiable à l’héritage du rang par le sang comme facteur de promotion sociale, à ouvrir les fenêtres de la société pour faire de la place à ceux qui n’ont pas pignon sur rue, à faire droit à l’initiative individuelle et à la récompenser. Elle accorde une place essentielle à la notion de responsabilité individuelle (qu’il s’agisse de personne physique ou morale) qu’elle considère comme le principal facteur d’harmonisation de l’intérêt individuel avec l’intérêt général, de l’autorégulation et de la dynamique sociales, et qu’elle définit techniquement comme le fait d’avoir à éprouver, de ne pas être empêché d’éprouver, positivement ou négativement, les conséquences de ses actes. On le constate en passant, par rapport à une image contemporaine systématiquement déformante, le libéralisme n’est donc ni originairement droitier, ni principalement économique.

Elle s’exprime de manière cohérente sur les plans politique, par les « checks and balances » mis en œuvre par la constitution américaine qui a, elle, pris Montesquieu au sérieux (contrôles et contrepouvoirs ou séparation des pouvoirs propre à la démocratie parlementaire, élection à intervalle régulier des dirigeants), économique par le « laissez-faire laissez passer » physiocratique (liberté du commerce et de l’industrie et libre échange) et social, par la « libre association » des hommes (syndicalisme, mutualisme, confessionnalisme, associationnisme) pour les fins les plus diverses qui sont les leurs, sans privilège ni monopole, chaque association devant faire la preuve par ses adhésions et ses cotisations, les dons et les legs qu’elle reçoit, de son utilité sociale et de sa capacité à perdurer. La dimension sociale du libéralisme (qui a également pu être celle du capitalisme) ne doit en effet pas être oubliée, même si elle est la moins connue ou la plus oubliée, puisque c’est à l’auto-organisation sociale, souvent patronale, parfois ouvrière, que l’on doit attribuer tous les développements de la protection sociale au 19 ème et 20 ème siècle auxquels la gauche marxiste s’opposait alors violemment puisque ces réformes retardaient d’autant le Grand Soir. Elle est aujourd’hui encore la plus prometteuse. Bien sûr, ces « mots d’ordre » du libéralisme dans toutes ses dimensions, sont à prendre comme des expressions de tendances dans un environnement donné et non comme des modes d’emploi absolus à prendre ou à laisser, ou bien à appliquer sans réflexion et sans nuance du jour au lendemain dans n’importe quel contexte. La simplicité des slogans du libéralisme ne peut en effet en aucun cas dispenser les libéraux de réfléchir aux stratégies politiques adaptées aux contextes spécifiques, dont dépend in fine la réussite des réformes « libérales » ou a fortiori laisser penser que les libéraux d’aujourd’hui, tels les révolutionnaires d’hier, disposent des recettes toutes faites et d’emploi universel de la réforme politique économique et sociale. La qualité éventuelle du contenu ne préjuge pas du succès de la méthode.

Cette philosophie politique générale est en principe celle qui est la plus à même de répondre aux légitimes appétits et intérêts des nouveaux venus dans la société civile, dans la vie économique et politique, qu’il s’agisse des jeunes à chaque génération, des étrangers de passage, des immigrés ou de ceux que les circonstances de la vie ont pu un moment marginaliser. Dans la crise actuelle du modèle français, au lieu de servir de bouc émissaire facile, propice à l’inaction et finalement au défaitisme, elle devrait faire l’objet d’un consensus général tant elle fournit de clés méthodologiques et de ressources possibles pour débloquer les impasses.

Par quel aveuglement généralisé notre pays et son « opinion élitaire » en est-elle venue à vouer aux gémonies la planche de salut et la solution de bon sens pour ceux-là mêmes qu’elle prétend s’acharner à défendre ? Au rejet du vivier des meilleurs remèdes, de la créativité sociale et politique par l’application conséquente du principe de subsidiarité et l’expérimentation de « variantes institutionnelles » alors même que le blocage d’un système centralisé et la crise des structures existantes sont devenus patents ? L’histoire intellectuelle et sociale en rend compte, par le virage du socialisme français vers le marxisme en particulier et le socialisme réel, rejetant autogestion, décentralisation et négligeant le champ expérimental de l’économie sociale. Mais la confusion intellectuelle entre libéralisme et capitalisme et le nœud intellectuel qui en résulte, des deux côtés de l’échiquier politique et social, doctrinalement bloquante, y jouent peut-être un plus grand rôle encore que l’idéologisation des problématiques sociales ou « l’égoïsme collectif » des nouvelles corporations.

Le capitalisme un régime économique induit par le développement de la société de capitaux

Le capitalisme de son côté n’est ni une doctrine, ni une philosophie sociétale, mais un fait social et historique : le régime économique devenu prédominant dans les « temps modernes », avec l’apparition et l’expansion de la société de capitaux. Un régime économique qui n’est au demeurant pas exclusif des régimes économiques antérieurs de « l’entreprendre » : les entreprises individuelles représentent aujourd’hui plus d’un tiers de 3,3 millions d’entreprises actives de toute nature, les associations et sociétés civiles plus d’un quart. Le capitalisme n’a donc pas aboli, contrairement à certaines prophéties ou même à l’analyse schumpétérienne, la propriété individuelle et la petite entreprise.

Le capitalisme ne se place donc pas sur le même plan que le libéralisme, même s’il en est un des fruits sur le plan économique. Il ne concerne de fait que le champ économique et dans ce champ économique, la partie qui est la plus en vue et dont l’esprit inspire l’ensemble, même si elle n’est pas nécessairement représentative du point de vue de tous les entrepreneurs et spontanément accordé au point de vue du consommateur ou du client. A la limite, la défense du capitalisme, dans le cadre d’une complicité « naturelle » entre grands dirigeants pour diverses raisons, principalement sociologiques, peut revêtir un aspect d’attaque frontale contre une vision libérale de la vie économique visant à limiter le pouvoir de marché des plus grands acteurs par la contestation des monopoles (dont le démantèlement des grands monopoles institutionnels est un aspect essentiel) et des abus de position dominante devant les tribunaux. En tout cas, une politique pro-capitaliste au sens où elle défendrait les grandes entreprises en général ou celles d’un pays particulier, est loin d’être en soi et de ce fait une politique libérale. On se rappellera ici d’ailleurs la réticence libérale lors du développement de la société de capitaux au 19 ème siècle, tenant à la limitation de la responsabilité patrimoniale du « capitaliste » à la hauteur de ses apports dans la société anonyme (d’où la préférence des entrepreneurs authentiquement libéraux dans leurs conceptions comme les Michelin pour la société en commandite par actions par rapport à la société anonyme).

Comme l’a démontré l’entreprenant penseur Lucien Pfeiffer, et lui seul à notre connaissance, le capitalisme, c’est-à-dire le régime économique induit par le développement de la société de capitaux, doit son succès à l’invention d’une modalité de couverture du risque économique permettant de dépasser (sans l’abolir) sa couverture traditionnelle dans l’économie rurale par le prêt à gage. Si l’entrepreneur emprunteur échoue dans l’entreprise rendue possible par le prêteur de fonds auquel il s’est adressé pour se lancer, il est à la fois lui-même ruiné et il reste de surcroît débiteur de la somme empruntée, intérêts et capital. Cette situation d’échec de l’emprunteur est en fait l’une des principales sources traditionnelles du salariat, du servage et même, lorsqu’il n’est pas aboli, de l’esclavage. Le capitalisme s’est éloigné de ce schéma en accommodant à la vie économique en général et au droit des sociétés « terrestres » les règles du prêt à la grosse aventure mises au point ou redécouvertes à l’occasion du commerce avec les pays du nouveau Monde, qui font jouer au capitaliste le noble rôle d’assureur du risque de perte économique. Ce faisant la société de capitaux a permis à la coopération de la fortune installée et des entrepreneurs dépourvus de moyens suffisants pour entreprendre par eux-mêmes de franchir un palier important. Elle a permis à l’entreprise de changer de dimension et a ainsi fourni le déclic institutionnel au développement occidental. Elle a en fait permis l’essor industriel de l’Europe et du Nouveau Monde caractéristique des temps modernes.

Les règles du prêt à la grosse aventure permettaient en effet aux apporteurs de capitaux d’accepter les risques économiques particuliers liés au transport maritime intercontinental en associant le prêteur aux bénéfices de l’aventure en contrepartie du renoncement au remboursement du prêt en cas de naufrage. Il en va ainsi pour l’apporteur de capitaux dans la société anonyme emblématique de la société de capitaux : en contrepartie de l’acceptation du risque de perte sans recours de ce capital, il prend le contrôle de l’entreprise en s’appropriant la société dont il constitue le « capital » par ses apports en nature ou en espèces, dans le but d’en maîtriser la gestion et d’en minimiser les risques. Il reçoit de ce fait les bénéfices de cette aventure terrestre aléatoire tant qu’elle se déroule favorablement, et absorbe directement les pertes dans le cas contraire (absence de dividendes et éventuellement consommation du capital investi ou « appauvrissement »).

Cette mécanique juridique explique le succès du capitalisme et son rôle dans l’essor occidental, qui a été sans rival, et est désormais mondialisé. La société de capitaux a en effet permis d’augmenter la taille de l’entreprise en deux temps et a ainsi rendu possible les grandes aventures industrielles des 19ème et 20ème siècles. Par son principe même dans un premier temps, qui permet d’associer la fortune traditionnellement foncière et immobilière et les entreprenants et ingénieux moins fortunés, au moyen de la société de capitaux et des règles de partage des bénéfices. Par l’organisation de la coopération entre « capitalistes » plus ou moins fortunés dans un second temps via l’appel public à l’épargne des sociétés de capitaux sur les bourses de valeurs mobilières, dont l’apparition puis la sophistication ont contribué à façonner le paysage économique et financier « capitaliste » qui nous est désormais devenu familier, même s’il ne concerne aujourd’hui encore qu’un nombre tout compte fait limité d’entreprises (un millier au plus toutes cotes confondues en France). Les actionnaires majoritaires qui administrent les entreprises obtiennent ainsi le moyen en partageant les bénéfices de multiplier les occasions de bénéfices et de mettre en permanence au point de nouveaux produits, les évolutions relatives de la profitabilité, réelle ou anticipée, des entreprises servant de guide à leurs investissements. C’est donc un régime économique bien adapté au lancement de grandes entreprises, d’activités fortement « capitalistiques » comme l’on dit, de nouveaux produits nécessitant des phases de recherche et de développement, de nouveaux services sur une grande échelle, qui n’auraient pas pu être inventés ou développés sans lui. Et c’est un régime qui incorpore sa propre dynamique puisqu’il est animé par le moteur de l’intérêt individuel ou familial, lequel garantit en principe la réactivité des propriétaires de l’entreprise, associés ou actionnaires, aux innovations des concurrents destinées à séduire les consommateurs dans un modèle économique où l’offre crée la demande.

L’innovation institutionnelle évidente à la réflexion dont découle le capitalisme est pourtant restée inaperçue dans la littérature qui traite du capitalisme ou du développement

Il est juste d’ouvrir ici une parenthèse sur la portée de la découverte de Lucien Pfeiffer, même si lui-même ne s’y attarde pas.

Ni l’invention très terre à terre du licol de cheval au 12 ème siècle, qui permet d’appliquer la force animale à la traction de la charrue, à laquelle Georges Duby prête une vertu décisive, ni, à l’autre extrême du spectre des explications, la révolution philosophique galiléo-cartésienne au 17 ème siècle censée permettre la mathématisation du monde et donc, comme par miracle, son arraisonnement par la technique selon Heidegger, ni l’explication religieuse mise en avant par Max Weber, selon laquelle l’éthique protestante aurait rendu possible l’apparition au 16 ème siècle de l’esprit du capitalisme (alors que le capitalisme prend historiquement son essor en Europe dans la très catholique Lombardie et en Italie du Nord en général près de deux siècles auparavant comme l’a bien montré Murray Rothbard), ni l’invention de la comptabilité en partie double vers le 13 ème siècle, que Goethe considérait comme l’une des plus belles inventions de l’esprit humain, ne permettent plausiblement de comprendre pourquoi l’Occident à partir de la Renaissance a décollé par rapport à une Chine scientifiquement et techniquement plus avancée que l’Europe.

En revanche, le mécanisme de la société de capitaux permet bien, lui et lui seul à vrai dire, de comprendre l’intérêt que les hommes fortunés ont eu à devenir des capitaines d’industrie et à transformer le monde en s’accordant avec les entreprenants moins fortunés. Cette explication, quoique « non homologuée » par l’histoire officielle de la pensée, et même de la pensée économique, et qui semble, il est vrai, une fois formulée, presque tautologique, paraît donc bien être la seule qui soit à la hauteur du phénomène à expliquer, en intégrant le facteur humain de la motivation à agir. L’écart « orthogonal » de développement entre l’Orient et l’Occident ne peut pas être d’origine purement intellectuelle ou « idéaliste », et relever, tel un « deus ex machina », d’une simple différence philosophique, culturelle ou religieuse. Il ne peut pas plus sérieusement résulter, dans une perspective matérialiste symétriquement inverse, de découvertes purement matérielle ou technique, aussi importantes soient-elles. Mais il peut bien être le produit d’un facteur juridico-économique, d’une innovation institutionnelle de grande portée, qui a permis d’une part à la source « constante » et universelle de motivation des hommes qu’est leur intérêt personnel ou collectif, de trouver un débouché nouveau et, qui d’autre part, a fourni au goût permanent et largement réparti d’entreprendre des hommes des moyens décuplés de s’exprimer. La formule de la société de capitaux permet de comprendre pourquoi et comment tant d’énergie humaine a désormais pu être canalisée dans l’activité économique.

Mais l’inventeur de cette explication génialement simple n’a pas pour objectif suprême de faire breveter sa découverte et de la voir enfin homologuer par l’Académie des sciences morales et politiques, car il pense pour agir et faire progresser la société en réformateur qu’il est et non pour se contenter de faire oeuvre de penseur. Il pense mieux le développement de l’Occident que les penseurs professionnels ne l’ont fait, mais sa découverte faite, et une fois posée devant nous et « en nous » avec l’évidence incontournable des choses vraies, il ne s’arrête pas là et veut nous emmener tout de suite plus loin, alors même que nous voudrions prendre le temps de savourer cette précieuse étape de la pensée. Et c’est ici qu’il devient important de comprendre que le libéralisme, l’imagination au pouvoir en matière d’organisation sociale dès lors qu’on ne nuit pas à autrui ou on ne le lèse pas, peut nous conduire plus loin que le capitalisme, ne serait-ce que, si l’on veut revenir au point de départ du raisonnement avant d’aller plus loin, parce qu’il y a d’autres manières de couvrir le risque économique que celle fournie par la société de capitaux, telle celles que peuvent fournir, à l’extérieur de l’entreprise, les sociétés d’assurance. Celles-ci ont d’ailleurs déjà bien défriché le sujet.

La société de capitaux n’est pas nécessairement le cadre indépassable de « l’entreprendre »

Le régime économique capitaliste incorpore, observe aussitôt Lucien Pfeiffer, une sorte de défaut constitutif, qui expliquerait le malaise économique croissant, en particulier dans les grandes entreprises contemporaines, publiques ou privées, et la recherche intense et multiple en provenance d’horizons les plus divers de nouvelles formes de coopération sociale pour entreprendre autrement dans un cadre libéral. Les salariés, qui font vivre et prospérer l’entreprise, sont étrangers à la société, même s’ils en sont des co-contractants privilégiés, alors que les propriétaires de la société, qui sont les décideurs du sort de l’entreprise, peuvent lui rester parfaitement extérieurs. Il rejoint ainsi la littérature retraçant les conflits d’intérêts entre « stake-holders » et « stock-holders ». La rémunération des salariés qui travaillent dans l’entreprise entre dans le prix de revient à soustraire du prix de vente pour déterminer le bénéfice légitime de la société. Elle constitue un coût fixe pour l’entreprise et, par conséquent met en opposition l’intérêt du capitaliste et du salarié, du moins à court terme, puisqu’ils sont « dans le même bateau » tant que la société n’est pas dissoute. Comme le disait Alfred Sauvy le travail, dans ce cadre, devient un simple passif : un mal nécessaire. On doit donc pouvoir imaginer des modalités d’entreprendre, des innovations institutionnelles, qui surmontent ce hiatus propre à la société de capitaux.

C’est une gerbe de ce genre d’institutions nouvelles que propose Lucien Pfeiffer dans son dernier livre : l’abolition possible du salariat dans une société de partenaires dont la rémunération proviendrait exclusivement des résultats de l’entreprise, la rémunération des moyens de production entrant dans le prix de revient ; le développement parallèle du métier de gestionnaire des moyens de production pour répondre à la demande d’un nouveau type de sociétés dépourvues de moyens de production propres, c’est-à-dire la sortie du crédit-bail du corset bancaire qui en limite le potentiel et les fonctionnalités ; l’extension de la technique du crédit-bail, dont il fut l’inventeur en France, à la propriété de l’entreprise, pour que les résultats mêmes de l’entreprise permettent une accession de plein droit des entrepreneurs sans fortune à la propriété de leur entreprise grâce à un nouveau fonds commun : le FC4P (fonds commun de prise de participation provisoire) ; le développement de l’assurance externe du risque économique propre à la vie des affaires par les mécanismes assurantiels pour fournir une alternative à la modalité capitaliste de couverture interne du risque de l’entreprise.

Comme on l’a vu, à l’aide de notre détour par le tréfonds institutionnel du capitalisme, il n’y a en fait pas de vrai rapport entre capitalisme et libéralisme même économique. Les exemples ci-dessus montrent que le libéralisme peut ouvrir « l’entreprendre » à d’autres modalités de coopération humaine dans le but de servir autrui, aussi valables d’un point de vue libéral, que la modalité capitaliste, pourvu que ces modalités restent contractuelles et non contraintes, qu’elles lui préexistent, co-existent avec elle ou soient encore à inventer. Si le libéralisme d’un point de vue économique inclut le capitalisme comme le genre inclut l’espèce, c’est donc sans exclusive ni « préférence » en toute rigueur de termes. Il n’y a aucune bi-univocité entre capitalisme et libéralisme. Le potentiel libéral est en réalité illimité.

A la limite il peut exister un capitalisme foncièrement non-libéral et un communisme libéral et par conséquent des évolutions plus ou moins libérales du capitalisme

La preuve de la nécessité de cette distinction est apportée par l’existence de types de capitalisme, comme le « capitalisme monopoliste d’Etat » dans lequel les relations sociales « patron-salariés » sont finalement peu différentes de la grande entreprise capitaliste privée. Comme si les nationalisations se révélaient incapables de faire émerger quoique ce soit de nouveau dans ce domaine si ce n’est peut-être le « pire » et dans lequel le risque, souvent grand et parfois inconsidéré, est assumé, à la place de l’actionnaire privé, par le citoyen-contribuable, ce qui est parfaitement critiquable d’un point de vue libéral. A l’inverse, il existe des formes de communisme, comme celui des monastères, en vertu duquel moines et moniales renoncent à toute forme de propriété individuelle (on ne peut par exemple même pas leur faire un don individuel puisqu’ils ne peuvent ouvrir un compte bancaire à leur nom) parfaitement admissibles dans une société libérale, dès lors que cette dépossession totale est volontairement consentie et même recherchée au moyen du vœu de pauvreté. L’existence d’un capitalisme anti-libéral, monopoliste d’Etat ou monopoliste tout court, et d’un communisme libéralement impeccable apportent donc bien la preuve par neuf de la nécessaire distinction entre libéralisme et capitalisme. En tout cas le libéral, pour reprendre une phraséologie passée de mode et qui avait son charme, n’a pas, en tant que tel, une vocation particulière à être le « suppôt du Grand Capital » ou son avocat systématique.

Un libéralisme critique du capitalisme est donc parfaitement admissible (alors qu’en revanche l’inverse est inconcevable) comme l’a finalement bien compris Jean-Yves Calvez l’un des nombreux et classiques pourfendeurs des deux soi-disant frères jumeaux au nom de la doctrine sociale de l’Eglise ou Zeev Sternhell. Certains développements, internes au capitalisme, comme le développement de l’actionnariat salarié et le regard renouvelé que certains portent sur les fonds de pension après une première réaction réflexe de rejet montrent par ailleurs la plasticité du capitalisme dans un sens de rééquilibrage du pouvoir entre salariés et actionnaires d’une part, dirigeants et actionnaires, minoritaires en particulier, d’autre part. Il convient donc de se garder de tout nouveau manichéisme, et d’avoir présent à l’esprit que le capitalisme lui-même, qui n’est pas une réalité monolithique, est susceptible d’évoluer de l’intérieur par conviction propre des dirigeants ou sous la pression des actionnaires, des parties prenantes, des événements ou du débat démocratique dans un sens plus ou moins libéral, plus ou moins transparent, plus ou moins équilibré.

Mais en admettant que certaines caractéristiques du capitalisme, en particulier les avatars récents d’un capitalisme fonctionnarisé marqués par le développement des « compensations » discrétionnaires, des « golden parachutes » et des options d’achat d’actions, qui tendent à transformer le capitaine d’industrie d’hier en corsaire assuré tous risques et mieux garanti que des salariés qui sont censés avoir opté pour la sécurité aux dépens du profit ; en admettant que les pratiques managériales d’un nombre grandissant de grandes entreprises « capitalistes » de type Enron ou Vivendi , tant publiques que privées d’ailleurs, deviennent critiquables et suscitent un rejet croissant, on perçoit alors l’urgence de soigneusement préserver la distinction entre capitalisme et libéralisme, sauf à vouloir condamner la porte de sortie de la crise de sens de notre société et fermer la porte de la réforme. Pour celui-ci, qui reste le parti du mouvement et de l’évolution pacifique, les clés de l’avenir et l’invention des solutions aux problèmes de chaque temps relèvent du champ contractuel, de la créativité individuelle, sociale et institutionnelle, dont le déploiement passe par l’initiative personnelle ou par le débat et la coopération multidimensionnels au sein de la société civile et politique.

La réforme sociale passe donc par une clarification doctrinale qui ne saurait faire l’économie du libéralisme

Et c’est pour cela que l’on ne peut prétendre se passer du « libéralisme » comme doctrine de ralliement, au moins de la chose, sinon du nom. Le mot est en effet tellement empoisonné et le consensus anti-libéral est si étendu en France, que l’on peut bien se demander si l’entreprise visant à redonner du lustre au « libéralisme », en le distinguant du concept trop étriqué de « capitalisme » (terme repris de Marx son inventeur qui a choisi à dessein ce mot impopulaire dès l’origine et de son temps, pour servir de repoussoir « dialectique » au socialisme) n’est pas vaine et condamnée à l’avance. Nous ne pouvons ici qu’exprimer une conviction : on ne pourra pas bâtir une société d’initiatives et de participation, organisée selon le principe de subsidiarité pour laisser faire à tous les niveaux ceux qui ont la volonté et la capacité de régler les problèmes (dont aucun n’est insurmontable à dire vrai) et de faire avancer les choses ou d’en construire de nouvelles, contre la doctrine générale des libertés et de la créativité humaine qu’est le libéralisme, loin de tout conservatisme. Régime libéral et perfectibilité sociétale s’impliquent réciproquement de facto.

Le consensus en faveur du libéralisme politique en est un témoignage encourageant : comment être sérieusement libéral en politique et anti-libéral en économie ? Le marché, loin d’être cette abstraction que dénoncent encore, en France, les anti-libéraux en droit, n’est en réalité rien d’autre que le parlement de l’économie, dont la criée sur les bourses de valeurs mobilières ou dans les ports de pêche donnait ou donne encore la meilleure image : la recherche par tâtonnement, essais et erreurs parfois, du meilleur compromis social possible entre toutes les partie prenantes, dont les intérêts sont divergents (le vendeur veut vendre le plus cher possible, l’acheteur veut le meilleur rapport qualité / prix) mais complémentaires (le vendeur a besoin de l’argent de l’acheteur, l’acheteur a besoin du bien ou du service du vendeur). Le marché n’est d’ailleurs pas défendu comme une abstraction « substantialisée » par les libéraux eux mêmes, contrairement au reproche que leur font leurs adversaires, mais comme la structure de coopération spontanée des personnes et des « maisons » dans une économie monétaire : le marché, ce sont les autres en face de moi que je sers et chez qui je me sers (coopération), en tenant compte des autres autour de moi qui ont des appétits concurrents dont je dois tenir compte pour parvenir à mes fins (concurrence). Le marché, ce sont toujours « les autres », en face ou à côté de moi. L’économie de marché, rendu possible par la monnaie, n’est rien d’autre que la libre coopération humaine régulée par la concurrence (simple moyen, mais en pratique essentiel comme facteur de dynamisme du producteur pour capturer les votes monétaires du consommateur, au service de cette coopération mutuelle) et surveillée par les tribunaux, c’est-à-dire se déroulant dans le cadre du droit civil et commercial.

Que proposent d’ailleurs concrètement ceux qui, en économie, faute d’argument rationnel, sont contraints aux artifices rhétoriques et se révoltent par exemple contre la « dictature des marchés » ? L’état patron qui a partout fait faillite ? Aucun libéral impartial et non doctrinaire ne peut laisser entendre que tous les hommes soient parfaits et nier qu’il existe des exploitations de situation ou des abus de pouvoir de marché en ce bas monde que nous savons tous, indépendamment de nos préférences doctrinales, être plein d’injustices diverses liées à nos convoitises. Aucun libéral ne soutiendra que l’économie de marché libre soit le paradis sur la terre, car l’évolutionnisme libéral s’oppose à l’utopie révolutionnaire. Elle peut même être qualifiée de pire des régimes, à l’exception de tous les autres. C’est la vraie raison de son universalisation, par-delà les décombres du socialisme réel et de l’économie mixte, dans une très large gamme de variétés régionales et nationales, propres à un régime par définition ouvert à la diversité des traditions et des mœurs. L’anti-libéralisme économique est devenu de ce fait, partout où il subsiste, une impasse théorique et pratique.

Autre encouragement à ne pas se priver de cette reviviscence nécessaire du libéralisme : le rejet du libéralisme ne semble pouvoir se maintenir, après la chute du Mur de Berlin et l’effondrement du socialisme réel à l’Est et au Sud, qu’au moyen de son travestissement sous le terme d’ultralibéralisme, procédé dialectique conservatoire mis au point par les socialistes occidentaux afin de poursuivre le même combat, tout en faisant semblant de reprendre à leur compte et d’adopter le terme « libéral » et son contenu doctrinal qui, dans les pays du socialisme réel, faisait évidemment, à leur grand dam, l’objet d’une vénération consensuelle chez tous les opposants à la « dictature du prolétariat ».

La remise en mouvement volontaire de la société civile et de la société politique françaises passe donc à nos yeux par cette clarification doctrinale préalable et une réhabilitation non honteuse du libéralisme, le mot et la chose, même si cela doit prendre un peu de temps et passe par quelques ralliements médiatiques d’intellectuels de gauche, qui n’osent pas encore aujourd’hui franchir ce Rubicon. Cette clarification, en mettant fin à ce grand écart intellectuel déchirant entre « les libéralismes » et en nous réconciliant en profondeur avec l’une de nos grandes traditions, entraînera un retour de la confiance en soi et de l’estime de soi, individuelle et collective. Elle rendra possible un retournement positif de l’opinion éclairée et publique en faveur des idées et des valeurs libérales, et même du terme de « libéralisme ». Celui-ci n’a cependant pas nécessairement besoin d’être agité en permanence comme un chiffon rouge devant les yeux de ceux pour qui une propagande anti-libérale en a fait un épouvantail sans retour possible, mais qui sont partants pour sortir de nos impasses pratiques.

En ce sens, le progrès du libéralisme passe aussi par l’arrêt d’une certaine auto-caricature du libéralisme de la part des libéraux eux-mêmes. Ceux-ci doivent tenir compte du terrain miné sur lequel ils opèrent, et savoir ne pas alimenter, par leurs excès ou leur impatience, la caricature que l’on se complaît en France à faire du libéralisme. A eux d’humaniser l’image trop brutale que la représentation sociale et les media se font du libéralisme et de montrer par leurs raisons, leurs positions et leurs comportements, leur ouverture d’esprit, leur effective tolérance (quelle autre doctrine peut légitimement revendiquer cette vertu ?) que cette image est fausse : que l’homme est acteur et fin ultime, alpha et oméga de la société, que l’homme, dans la réalité de ses préoccupations concrètes et parfois vitales, y compris l’homme démuni ou moins bien loti, est bien au centre de leur conception et de leur souci, que la vision libérale de la société est bien un projet pour tous, où chacun puisse trouver sa place harmonieusement. A eux en particulier à ne pas se laisser aller à la tentation de représentation monopolistique du libéralisme, antinomique du libéralisme lui-même ou à s’octroyer une sorte d’infaillibilité doctrinale. A eux de savoir s’ouvrir à la tradition proudhonienne de la gauche française, subvertie par la gauche étatiste d’origine allemande.

La distinction entre capitalisme et libéralisme permet de surcroît une analyse plus subtile de la politique économique américaine que celles auxquelles nous sommes accoutumés de part et d’autre

Le distinguo entre libéralisme et capitalisme auquel invite tant l’histoire économique que celles des idées politiques jette une lumière incidente sur le malentendu « assourdissant » des positions françaises sur certains aspects de la politique américaine. Celle-ci ne devrait être jugée, selon la tradition empirique (modeste) qui fait le fond de la philosophie libérale, qu’a posteriori au cas par cas, et non pas idéologiquement et a priori. Adopter cette distinction permet en effet de comprendre d’une part, que le rejet de certains aspects de la politique économique américaine ne doit pas se faire au nom de l’anti-libéralisme, puisque le libéralisme fournit au contraire le meilleur arsenal critique de certaines pratiques américaines, déviantes au regard du libéralisme censé les inspirer. Pensons ici par exemple au renforcement des subventions agricoles ou à l’institutionnalisation de la manipulation monétaire par la suspension de la convertibilité-or du dollar qui fausse la mondialisation et nourrit son rejet depuis plus de 30 ans désormais. Cette distinction permet d’autre part de mieux comprendre pourquoi l’allégeance systématique à l’égard des points de vue américains, alors même qu’ils relèvent de la défense la plus traditionnelle et la plus triviale de leurs « intérêts nationaux » (« tout être exerçant tout le pouvoir dont il peut disposer » selon Thucidyde) par des « intellectuels » européens se réclamant du libéralisme peut en fait desservir gravement la cause libérale. Des observateurs impartiaux et même une fraction du grand public ne peuvent voir dans ce biais irrationnellement pro-américain qu’un parti-pris d’avocat et un saut dans une nouvelle sorte d’idéologie, les incitant par contrecoup à un rejet en bloc de ce « libéralisme » de façade, qui n’est rien d’autre qu’un « mercantilisme » déguisé et par contagion, de manière regrettable, au rejet de tout ce qui ressemble de près ou de loin au « modèle américain ». Dans ces conditions, l’irrationalité anti-libérale ambiante et celle des défenseurs d’un pseudo-libéralisme se nourrissent mutuellement et alimentent une sorte de jeu de dupes, dont notre société, son avenir, sa jeunesse et ses marges, font les frais.

On songe ici à la lucide désolation de Frédéric Bastiat (mon vénérable cousin) qui préférait voir « une cause bien attaquée que mal défendue ». Malgré notre optimisme foncier, la réhabilitation du libéralisme en France passe par une intelligence stratégique du « marché » national des idées sur lequel « l’entrepreneur libéral » opère volens nolens, un marché qui est impitoyable on le sait avec les entrepreneurs maladroits ou trop pressés.

Cette clarification intellectuelle des notions bien distinctes de libéralisme et de capitalisme, malgré une intersection limitée, nous paraît être comme une sorte de prolégomène à toute acceptation future des réformes. Seule en effet la conviction bien établie que la réforme donne sa chance à tous et, au premier chef, aux moins bien lotis et aux « outsiders » de la société, qu’elle n’est pas simplement une dialectique (au profit) de nantis ou de gens à l’abri de tout risque économique véritable, au sein de l’Etat ou d’une collusion Etat / grandes entreprises, publiques ou privées, pour augmenter « les risques des autres », pourra faire bouger et même basculer un peuple qui a peut-être « la tête près du bonnet » selon l’expression de Hegel, mais qui surtout n’accepte pas de prendre des vessies pour des lanternes. L’approche libérale ne peut réussir que dans une logique d’ouverture sociale concrète pour beaucoup, comme les fondateurs dans les années 60 de l’Association pour la Liberté Economique et le Progrès Social (ALEPS), Jacques Rueff en particulier, l’avaient bien compris contre leur temps. La citadelle française des droits acquis ne pourra être investie que si le sentiment de justice d’une « masse critique » de la population y trouve son compte et si un nombre suffisant de personnes entrevoit les bénéfices individuels et collectifs de la libéralisation.

Les libéraux du Mouvement Démocrate

03:48 Publié dans Economie | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : liberalisme, capitalisme | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook